Créer consiste toujours à s’interroger et à proposer un champ d’exploration pour le public. Quelles thématiques nous proposez-vous d’aborder ?
Mon travail questionne le rapport de l’Homme face aux origines et à l’avenir de la Nature, l’environnement dans lequel nous évoluons. J’ai d’abord créé une première série d’œuvre intitulée Les Consommables, où l’on voyait la nature émerger de canettes de soda ou de conserves. Le rapport de force était clair entre la nature et l’action de l’homme, la nature grignote et vient faire disparaître l’action de l’Homme.
La seconde série s’appelle Hand, la nature est comprimée, personnifiée dans des volumes à travers différents sentiments, la colère (Wrath), le don (Gift), Ominus avec la généralisation de la main omniprésente.
Deux autres séries, De Humanum Natura et Regarde-moi ont suivies ces créations.
Nous avons également été séduites par le caractère végétal de vos œuvres, par la dimension organique qui se dégage de votre travail de végétalisation. Comment le réalisez-vous ?
La base de la sculpture est faite en mousse polyuréthane, soit directement sculptée dans un bloc, soit à partir de moulage fait en liquide qui durcit, ça se travaille très bien. Je sculpte donc cette base et ensuite je donne un aspect terre avec un mélange de sable et de terre que je vernis et repatine. Après cela, j’utilise du flocage synthétique pour faire la verdure et la mousse.
Afin de réaliser les fleurs et la végétation, j’utilise de la récupération végétale que je chine en montagne au mois d’aout. Je fige ces fleurs dans de la résigne acrylique couche après couche.
Pour la sculpture de la petite fille, Seiza que j’ai réalisée au Japon, j’ai choisi des fleurs locales que j’ai ramassé à 1h de Kyoto, à Biwako. Je crée ainsi un dialogue entre mon univers et le contexte dans lequel l’œuvre est présentée.
Par le choix de ses artistes et de leurs thématiques, le Château Malromé s’attache à faire un lien entre le France et l’Asie, parlez-nous de ces œuvres qui font écho à notre démarche.
La position particulière de la petite fille porte le nom éponyme de l’œuvre, Seiza. Cette position est née il y a des siècles mais elle est aujourd’hui adoptée par tout le peuple japonais au quotidien. Le but de cette position était de discipliner les samouraïs en les obligeant à avoir cette position non-agressive, il est en effet difficile de se relever vite de cette posture.
Seiza est placée au centre de l’exposition, elle porte un regard intellectuel sur la catégorisation du vivant, elle regarde les animaux dans leurs volumes.
La série des vases présentée sont des œuvres chinoises, ce qui fait la passerelle entre la Chine et la France. C’est la production d’un artiste occidental sur un artisanat oriental. Cette série est une référence à l’art du Kintsugo, un art japonais qui consiste à recoller les fragments de vase avec de l’or. Ici, c’est l’inverse, je détruis les vases.
Parlez-nous des volumes blancs de la série Définition…
L’homme a besoin de définir, de mettre les choses dans des cases, de les ranger pour ordonner sa pensée. Mais les choses ne peuvent pas entièrement rentrer dans les cases. Ces volumes blancs représentent aussi le gabarit de l’animal sculpté. Chaque animal rentre dans ces boites blanches, ces volumes blancs. On sort les animaux de ces gabarits pour montrer que chacun a ses particularités, d’où l’intérêt de les titrer avec leurs noms scientifiques en latin.
Votre exposition s’appelle Decorum, pourquoi ?
Le Decorum c’est l’ensemble des règles de bienséance que l’on s’accorde à se donner entre nous pour tenir un bon rang dans la société. C’est tous les éléments qu’on s’impose pour se faire comprendre de l’autre. Cela équivaut au masque que l’on porte pour sortir et faire bonne figure ; ces œuvres sont des masques, si on enlève ces volumes blancs on y voit le vivant en tant que tel. Il y a une part qui est cachée, une part de mystère.
Decorum – Emeric Chantier, entrée libre du mercredi au dimanche dans la galerie du Château